Rapport 2024 sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions
Face à l’écart considérable entre le discours et la réalité, les pays élaborent de nouveaux engagements en matière de climat
Résumé analytique
Tous les regards sont tournés vers les prochaines contributions déterminées au niveau national
Au moment de la rédaction du présent document, les pays n’ont plus que quelques mois pour soumettre leur prochaine contribution déterminée au niveau national (CDN) assortie de nouveaux objectifs d’atténuation à l’horizon 2035. Le quinzième Rapport sur l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions traite spécifiquement des exigences en matière de CDN pour préserver la possibilité d’atteindre l’objectif à long terme de l’Accord de Paris visant à contenir l’élévation de la température moyenne de la planète nettement en dessous de 2 °C, en poursuivant l’action pour la limiter à 1,5 °C par rapport aux niveaux préindustriels. Le principal message à retenir est que définir des objectifs ne veut rien dire sans action correspondante. À moins de réduire les émissions mondiales prévues en 2030 en deçà des niveaux fixés dans les CDN et politiques actuelles, aucune stratégie ne permettra de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C avec un dépassement faible ou nul (probabilité inférieure à 50 pour cent), et rester en deçà du seuil de 2 °C deviendra particulièrement difficile (probabilité inférieure à 66 pour cent). En plus d’accélérer les efforts d’atténuation au cours de la présente décennie, les pays devront fixer des objectifs infiniment plus ambitieux dans leurs prochaines CDN.
L’ampleur du défi posé par la crise climatique est incontestable. Toutefois, il existe aussi de nombreuses possibilités d’intensifier les efforts d’atténuation tout en répondant aux besoins pressants en matière de développement et en atteignant les objectifs de développement durable. Les progrès technologiques, en particulier dans le domaine de l’énergie solaire et éolienne, surpassent continuellement les attentes, ce qui fait baisser les coûts de mise en œuvre et favorise l’expansion du marché. D’après l’évaluation actualisée des potentiels de réduction des émissions par secteur présentée dans le rapport de 2024, le potentiel de réduction techno économique des émissions au moyen des technologies existantes à un coût inférieur à 200 dollars américains par tonne d’équivalent dioxyde de carbone (t éq-CO2) demeure suffisant pour combler l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions aux horizons 2030 et 2035. Parvenir à de telles réductions nécessitera cependant de relever des obstacles politiques, institutionnels, techniques et de gouvernance considérables, ainsi que d’apporter plus de soutien que jamais aux pays en développement grâce à une transformation de la structure du financement international.
Entre 2022 et 2023, le total des émissions de GES a ainsi augmenté à un rythme supérieur à la moyenne enregistrée au cours de la décennie précédant la pandémie de COVID-19 (2010-2019), au cours de laquelle les émissions de GES se sont accrues de 0,8 pour cent par an en moyenne. À l’exception des émissions de CO2 imputables à l’utilisation des terres, au changement d’affectation des terres et à la foresterie (UTCATF), les émissions ont augmenté dans tous les secteurs et quelle que soit leur source. La figure ES.1 montre qu’en 2023, le secteur de l’énergie (c’est-à-dire de la production d’électricité) est resté le principal responsable des émissions mondiales (15,1 Gt éq-CO2), suivi du secteur des transports (8,4 Gt éq-CO2), de l’agriculture (6,5 Gt éq-CO2) et de l’industrie (6,5 Gt éq-CO2). Les émissions issues des transports aériens internationaux, qui avaient considérablement baissé pendant la pandémie de COVID-19, ont enregistré la plus forte hausse entre 2022 et 2023. Celle-ci a atteint 19,5 pour cent (contre une croissance annuelle de 3,1 pour cent entre 2010 et 2019), ce qui indique clairement un quasi-retour aux niveaux antérieurs à la pandémie. En 2023, les émissions ont également connu une croissance rapide (c’est-à-dire supérieure à 2,5 pour cent) dans les secteurs de la production de combustibles (infrastructures pétrolières et gazières et mines de charbon), du transport routier et de l’industrie énergétique.
Figure ES.1 : Émissions totales de GES en 2023
Les émissions de GES des membres du G20 ont également augmenté entre 2022 et 2023, atteignant 77 pour cent du total mondial. Ajouter tous les membres de l’Union africaine aux membres du G20 fait plus que doubler le nombre de membres considérés (de 44 à 99), mais ne représente qu’une augmentation de 5 points de pourcentage qui porte leurs émissions à 82 pour cent du total mondial. Les six principaux émetteurs de GES sont responsables de 63 pour cent des émissions totales de GES. Par comparaison, les pays les moins avancés ne sont à l’origine que de 3 pour cent du total des émissions (tableau ES.1).
La moyenne actuelle par habitant et les émissions passées des principaux émetteurs et régions du monde diffèrent considérablement malgré les importants changements enregistrés au cours des 20 dernières années (tableau ES.1). Par exemple, les émissions moyennes de GES par habitant des États-Unis d’Amérique et de la Fédération de Russie sont près de trois fois supérieures à la moyenne mondiale de 6,6 t éq-CO2, tandis que les émissions moyennes de GES par habitant de l’Union africaine, de l’Inde et des pays les moins avancés lui sont nettement inférieures. Les émissions liées à la consommation restent également très inégales.
Tableau ES.1 : Total des émissions passées et par habitant d’un échantillon de pays et de régions

Remarque : Les émissions sont calculées par territoire. Les émissions de CO2 imputables à l’UTCATF sont exclues des émissions de GES actuelles et par habitant, mais sont incluses dans les émissions de CO2 passées conformément à la méthode de comptabilisation. Certains membres de l’Union africaine font également partie des pays les moins avancés.
Depuis l’adoption de l’Accord de Paris, 90 pour cent des parties ont mis à jour ou remplacé leur CDN initiale. Cependant, la plupart des améliorations apportées l’ont été en vue de la vingt-sixième session de la Conférence des Parties à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques (COP 26) en 2021. Malgré les exhortations à rehausser les niveaux cibles à l’horizon 2030 issues des trois dernières COP, seul un pays a fixé des objectifs plus ambitieux depuis la COP 28.
Dans le cadre des politiques actuelles, les émissions mondiales devraient atteindre un total de 57 Gt éq-CO2 (plage de variation de 53 à 59 GT éq-CO2) à l’horizon 2030. Cette augmentation, qui est légèrement plus importante que celle prévue l’année dernière, dépasse d’environ 2 Gt éq-CO2 (plage de variation de 0 à 3 Gt éq-CO2) le niveau des émissions fixé dans les CDN inconditionnelles et de 5 Gt éq-CO2 (plage de variation de 2 à 9 Gt éq-CO2) le niveau des émissions établi dans les CDN conditionnelles (tableau ES.2). L’écart entre les politiques mises en œuvre et les objectifs des CDN à l’horizon 2030 est approximativement égal à celui estimé l’année passée.
Les prévisions actuelles indiquent également que l’ensemble des membres du G20 n’atteindront pas les objectifs fixés à l’horizon 2030 dans leur CDN. Les émissions attendues en cas de maintien des politiques actuelles dépassent de 1 Gt éq-CO2 les estimations fondées sur la réalisation des CDN d’ici à 2030. En cas de maintien des politiques actuelles des membres du G20, 11 d’entre eux ne devraient pas atteindre les objectifs de leur CDN, et ceux qui le devraient n’ont pas rehaussé, ou seulement modérément rehaussé, ces objectifs dans leur dernière CDN. En outre, les niveaux cibles des CDN de tous les membres du G20 sont largement inférieurs à la moyenne des réductions des émissions mondiales en pourcentage requise pour limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C ou 2 °C (figure ES.2).
Pour les objectifs à l’horizon 2030 des CDN, il est donc nécessaire d’adopter et de mettre œuvre des politiques supplémentaires et plus strictes dans tous les pays et secteurs. Si les politiques climatiques ont progressé dans de nombreux pays, les effets qu’elles devraient avoir sur les émissions de GES en 2030 sont encore insuffisamment étudiés. Il est donc impossible de déterminer si les nouvelles politiques des membres du G20 (adoptées entre juin 2023 et juin 2024) pourraient avoir une incidence significative sur les émissions mondiales d’ici à 2030.
Figure ES.2 : Objectifs fixés dans les CDN actuelles et écarts de mise en oeuvre au sein du G20 et entre ses membres, par rapport aux émissions de 2019
Au 1er juin 2024, 101 parties représentant 107 pays et produisant environ 82 pour cent des émissions mondiales de GES avaient adopté des objectifs de zéro émission nette inscrits dans la loi (28 parties) ou dans un document d’orientation tel qu’une CDN ou une stratégie à long terme (56 parties), ou officialisés par une annonce publique d’un haut responsable du gouvernement (17 parties). Tous les membres de l’Union africaine et du G20, à l’exception du Mexique, se sont engagés à atteindre zéro émission nette. De manière générale, les indicateurs clés de confiance portant sur la mise en œuvre des objectifs zéro émission nette ont cependant peu évolué. Ce constat se fonde sur les avancées limitées en matière de statut juridique et d’élaboration de plans de mise en œuvre de qualité, ainsi que sur le mauvais alignement des courbes d’évolution des émissions à court terme sur les cibles zéro émission nette.
Il est indispensable que les émissions de GES plafonnent pour atteindre zéro émission nette. Les émissions de sept membres du G20 (Arabie saoudite, Chine, Inde, Indonésie, Mexique, République de Corée et Türkiye) n’ont pas encore plafonné, c’est-à dire atteint le niveau maximum d’émissions au moins cinq ans avant l’année de collecte des dernières données d’inventaire disponibles. Ces pays pourront plus facilement atteindre leurs objectifs zéro émission nette en s’efforçant de réduire rapidement leurs émissions pour en accélérer le plafonnement et en abaisser le niveau maximal. La plupart des dix membres du G20 dont les émissions ont déjà atteint leur maximum (Afrique du Sud, Argentine, Australie, Brésil, Canada, États-Unis d’Amérique, Fédération de Russie, Japon, Royaume-Uni de Grande-Bretagne et d’Irlande du Nord, Union européenne) devront accélérer leur rythme de décarbonisation – dans certains cas de manière drastique – après 2030 pour atteindre leurs objectifs zéro émission nette, à moins d’agir plus rapidement dès maintenant et de dépasser les objectifs de leur CDN à l’horizon 2030. En intensifiant leurs efforts de réduction à court terme, ces pays accumuleront moins d’émissions tout en évitant de compter sur une décarbonisation trop rapide pour être réaliste à l’avenir. En l’état, les CDN et les objectifs zéro émission nette des pays impliquent que ceux dont les émissions n’ont pas encore culminé devront atteindre zéro émission nette bien plus rapidement après avoir plafonné leurs émissions que les pays déjà parvenus à leur maximum.
Cet écart correspond à la différence entre les émissions mondiales de GES après la mise en œuvre complète des dernières CDN et le niveau d’émissions résultant de l’application des stratégies à moindre coût alignées sur l’objectif de température à long terme de l’Accord de Paris.
Le retard pris dans la réduction des émissions de GES d’ici à 2030 et 2035 n’a pas évolué depuis l’évaluation réalisée l’année passée (figure ES.3 et tableau ES.2). De fait, aucun pays n’a soumis de nouvelle CDN dont l’incidence sur les émissions mondiales serait significative, aucune quantification des effets des CDN n’a été mise à jour et aucune stratégie à moindre coût n’a été révisée. Afin de limiter le réchauffement de la planète à 1,5 °C ou moins de 2 °C, les émissions annuelles devront respectivement s’élever à 22 Gt éq-CO2 (plage de variation de 21 à 24 Gt éq-Co2, probabilité inférieure à 50 pour cent) ou à 14 Gt éq-CO2 (plage de variation de 13 à 16 Gt éq-Co2, probabilité inférieure à 66 pour cent) d’ici à 2030. Ce dernier niveau est inférieur à celui que les CDN inconditionnelles actuelles devraient permettre d’atteindre. L’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions d’ici à 2035, qui est encore plus important, atteint 4 Gt éq-CO2 en cas de réchauffement inférieur à 2 °C et 7 Gt éq-CO2 en cas de limite à 1,5 °C. Le fait de parvenir à la mise en œuvre complète des CDN conditionnelles réduirait le retard pris dans la réduction des émissions d’ici à 2030 et 2035 d’environ 3 Gt éq-CO2 (figure ES.3).
Mettre en œuvre l’intégralité des CDN inconditionnelles et conditionnelles réduirait les émissions attendues en 2030 de 4 et 10 pour cent respectivement par rapport aux niveaux de 2019. Or, les émissions doivent diminuer de 28 pour cent pour respecter le seuil de 2 °C et de 42 pour cent pour rester en deçà de 1,5 °C. Ces estimations sont également équivalentes à celles tirées de l’évaluation de l’année dernière. Les CDN à l’horizon 2035 visent à réduire les émissions mondiales de 37 et 57 pour cent par rapport aux niveaux de 2019 pour que le réchauffement puisse être respectivement limité à 2 °C ou 1,5 °C.
À moins de réduire les émissions mondiales prévues en 2030 en deçà des niveaux résultant des politiques actuelles et de la mise en œuvre complète des CDN en cours, aucune stratégie ne permettra de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C avec un dépassement faible ou nul (probabilité inférieure à 50 pour cent) et rester sous le seuil de 2 °C deviendra particulièrement difficile. Le fait d’émettre le volume d’émissions mondiales attendu de la réalisation des dernières CDN inconditionnelles pour 2030 plutôt que de renforcer immédiatement les efforts entrepris doublerait le taux de réduction annuelle des émissions requis entre 2030 et 2035. Plus précisément, agir conformément aux objectifs de 2 °C ou 1,5 °C dès 2024 supposerait de maintenir une moyenne de réduction annuelle des émissions mondiales respectivement égale à 4 et 7,5 pour cent jusqu’à 2035. Le fait de reporter à 2030 le renforcement des efforts entrepris dans le cadre des CDN inconditionnelles actuelles porterait le taux annuel moyen de réduction des émissions nécessaire à 8 pour cent pour rester en deçà de 2 °C et à 15 pour cent pour respecter la limite de 1,5 °C.
Figure ES.3 : Projections des émissions mondiales de GES et de l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions d’ici à 2030 et 2035 selon différents scénarios
Tableau ES.2 : Total des émissions mondiales de GES prévues en 2030, 2035 et 2050, et écart estimé en matière de réduction des émissions selon différents scénarios

Le retard pris dans la réduction des émissions d’ici à 2030 et 2035 est évalué en fonction des stratégies à moindre coût conformes aux objectifs de limiter le réchauffement à 1,5 °C, 1.8 °C ou 2 °C. Cette évaluation suppose que, depuis 2020, les pays ont mené d’importants efforts d’atténuation permettant de réduire drastiquement les émissions de GES au cours de la présente décennie. Or, les émissions mondiales de GES (dont le méthane) ont continué à augmenter après avoir diminué en raison de la pandémie de COVID-19.
Le temps perdu et le manque d’action ne sont pas sans conséquences. Ils ont amputé le budget carbone, dont on estime qu’il reste 900 Gt éq-CO2 en 2024 pour contenir le réchauffement en dessous de 2 °C (probabilité inférieure à 66 pour cent) et 200 Gt éq-Co2 pour rester en deçà de 1,5 °C (probabilité inférieure à 50 pour cent). Même si l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions était comblé d’ici à 2030, les émissions de CO2 cumulées entre 2020 et 2030 atteindraient 20 à 35 Gt par rapport au niveau résultant des stratégies alignées sur l’Accord de Paris. Ces émissions entraîneraient une hausse de la température de 0,01 °C à 0,02 °C supérieure à celle prévue dans le cadre des stratégies initiales.
Il importe de noter que l’inaction réduit la possibilité de combler le retard accusé dans la réduction des émissions d’ici à 2030, car elle perpétue la dépendance vis-à-vis des infrastructures à forte intensité de carbone et raccourcit le délai à tenir pour effectuer les réductions nécessaires. Elle augmente également le risque de dépasser les objectifs de température fixés et aggrave les effets de plus en plus dévastateurs des changements climatiques, dont certains sont irréversibles.
D’après les estimations, les efforts d’atténuation menés dans le cadre des politiques actuelles devraient limiter le réchauffement planétaire à un maximum de 3,1 °C (plage de variation de 1,9 °C à 3,8 °C) au cours du siècle. Si l’intégralité des CDN inconditionnelles ou conditionnelles était mise en œuvre sans modifier les mesures d’atténuation qu’elles prévoient, la température mondiale ne devrait respectivement augmenter que de 2,8 °C (plage de variation de 1,9 °C à 3,7 °C) et 2,6 °C (plage de variation de 1,9 °C à 3,6 °C). La probabilité que ces deux scénarios se concrétisent est de 66 pour cent (figure ES.4).
Les projections de température médiane indiquent que le maintien des politiques actuelles et la réalisation des CDN conditionnelles ou inconditionnelles n’offrent presque aucune chance de limiter l’élévation de la température à 1,5 °C (figure ES.4). Dans les trois cas, le réchauffement planétaire devrait être bien supérieur à 1,5 °C et présente même jusqu’à une chance sur trois de dépasser 2 °C d’ici à la moitié du siècle. En outre, la température devrait continuer d’augmenter après 2100, car il n’est pas encore prévu que les pays parviendront à zéro émission nette de CO2 dans les trois scénarios susmentionnés.
Les projections de température ne se rapprochent de l’objectif de l’Accord de Paris que dans le cadre du scénario le plus optimiste, qui suppose la réalisation intégrale de tous les engagements les plus stricts déjà pris par les pays – à savoir les CDN conditionnelles et l’ensemble des objectifs zéro émission nette, dont ceux des stratégies à long terme de développement à faibles émissions. Dans ce cas, on estime pouvoir limiter le réchauffement à 1,9 °C (plage de variation de 1,8 °C à 2,3 °C, probabilité inférieure à 66 pour cent) au cours du siècle. Ce scénario est le seul fondé sur les engagements existants dans lequel le réchauffement mondial se stabilisera au cours du siècle.
Les projections effectuées soulignent qu’une action immédiate aurait une incidence cruciale sur les profils d’évolution de la température, et que les pays ont besoin d’un soutien renforcé pour mettre en œuvre les éléments conditionnels de leurs CDN. La réalisation et le maintien des CDN conditionnelles devraient faire plafonner le réchauffement planétaire à 0,5 °C de moins que l’application des politiques actuelles. Par ailleurs, le fait d’atteindre les cibles à court terme des CDN conditionnelles augmenterait la probabilité de remplir les objectifs zéro émission nette, ce qui ferait encore baisser le réchauffement planétaire prévu d’environ 0,5 °C. Ces projections mettent en exergue l’importance fondamentale non seulement d’atteindre mais de dépasser les objectifs fixés en matière de réduction des émissions d’ici à 2030, tout en élaborant des CDN bien plus ambitieuses au cours du prochain cycle.
Figure ES.4 : Projections d’élévation de la température selon les scénarios de réalisation des engagements existants évalués
L’Accord de Paris établit que la mise en œuvre nationale des objectifs et des jalons internationaux est flexible. Les normes internationales peuvent nous aider à comprendre les cibles nationales X que les prochaines CDN devront établir afin que la stratégie des pays permette de remplir l’objectif de température de l’Accord de Paris. Parallèlement, les plans de décarbonisation nationaux peuvent améliorer notre compréhension des capacités de chaque pays en la matière. Des questions de justice et d’équité peuvent entrer en ligne de compte dans l’élaboration et l’évaluation des CDN comme des plans de décarbonisation.
L’illustration des résultats obtenus montre que les membres du G20, en excluant l’Union africaine, doivent en faire plus et agir plus rapidement. Les cibles de chacune de leurs CDN actuelles ne constituent ni une stratégie rentable ni une contribution équitable qui permettrait d’atteindre l’objectif de température de l’Accord de Paris (figure ES.5).
Les membres du G20 sont très différents les uns des autres, comme en témoignent également leurs émissions passées, actuelles et par habitant. Certains d’entre eux devront donc réduire leurs émissions plus rapidement que d’autres. Il sera en outre essentiel de renforcer la coopération et le soutien internationaux (notamment en augmentant le financement de la lutte contre les changements climatiques) pour que les possibilités et les efforts de mise en œuvre des objectifs mondiaux en matière d’atténuation et de développement soient répartis équitablement entre les membres du G20 et à l’échelle mondiale.
De nombreux pays se dotent de plans de décarbonisation qui conjuguent la mise en œuvre de leurs priorités nationales en matière de développement avec des mesures d’atténuation ambitieuses. Plusieurs de ces plans indiquent que les membres du G20 peuvent, qu’ils aient déjà plafonné leurs émissions ou non, en réduire le volume d’ici à 2030, non seulement de manière à dépasser les cibles de leurs CDN actuelles, mais aussi à fixer des objectifs nationaux bien plus ambitieux pour 2035. L’étude des CDN actuelles permet de mieux comprendre comment les prochaines pourront correspondre au niveau d’ambition le plus élevé possible, conformément à l’article 4 de l’Accord de Paris.
La définition d’une CDN équitable et ambitieuse peut varier considérablement selon l’approche adoptée. Étant donné ces différences, la transparence et la clarté dont les pays font preuve au sujet de la manière dont leur prochaine CDN correspondra au niveau d’ambition le plus élevé possible et tiendra compte des questions d’équité permettent d’évaluer chaque cycle en meilleure connaissance de cause.
Figure ES.5 : Illustration des plages d’atténuation conformes à différents objectifs de température en cas de contribution équitable et de stratégie rentable de l’ensemble du G20, en excluant l’Union africaine et l’UTCATF
Les progrès accomplis par rapport aux niveaux sectoriels de référence que les études démontrent nécessaire d’atteindre pour limiter le réchauffement à 1,5 °C sont loin d’être à la hauteur de la transformation des systèmes requise. Le prochain cycle de CDN représente l’occasion pour les pays d’établir des objectifs et des plans sectoriels ambitieux, ce qu’ils ont de nombreux moyens de faire.
Une évaluation actualisée des potentiels de réduction sectorielle des émissions de GES montre que le potentiel d’atténuation techno-économique à un coût inférieur à 200 dollars américains par t éq-CO2 suffit à combler l’écart entre les besoins et les perspectives en matière de réduction des émissions aux horizons 2030 et 2035. Comme indiqué dans la figure ES.6, le potentiel d’atténuation estimé s’élève à 31 Gt éq-CO2 par an en 2030 (plage de variation de 25 à 35 Gt éq-Co2) et à 41 Gt éq-CO2 par an en 2035 (plage de variation de 36 à 46 Gt éq-CO2).
Fait remarquable, le recours accru à deux solutions éprouvées et compétitives du point de vue du coût (l’énergie solaire photovoltaïque et l’énergie éolienne) représente à lui seul 27 et 38 pour cent du potentiel total de réduction des émissions d’ici à 2030 et 2035, respectivement. Dans le domaine de la foresterie, la possibilité immédiate et peu coûteuse d’étendre le reboisement et d’améliorer la gestion des forêts recèle un important potentiel de réduction des émissions qui s’élève respectivement à 19 et 20 pour cent du potentiel total d’atténuation aux horizons 2030 et 2035. La prise de mesures d’efficacité ou axées sur la demande et l’électrification des secteurs du bâtiment, des transports et de l’industrie ou le remplacement des combustibles constituent d’autres moyens importants et facilement accessibles de réduire les émissions.
La réalisation intégrale ou même partielle des atténuations possibles nécessite de mener une action politique rapide et sans précédent à l’échelle mondiale, en mobilisant l’ensemble des pouvoirs publics de manière à privilégier un développement durable et résilient face aux changements climatiques, à s’attaquer efficacement aux obstacles et à stimuler la prise de mesures dans les secteurs public et privé.
Les mesures d’atténuation conçues et appliquées en réponse aux besoins de multiples parties prenantes qui maximisent les co-bénéfices socio économiques et environnementaux et qui requièrent le moins de compromis possible ont bien plus de chances d’être couronnées de succès et mises en œuvre à plus grande échelle.
Il faudra également effectuer des investissements bien plus importants pour réaliser les potentiels de réduction. Dans l’ensemble, on estime que respecter la limite de 1,5 °C nécessitera de multiplier au moins par six les investissements dans l’atténuation, tout en répartissant les fonds différemment de manière à privilégier les activités d’atténuation et à orienter les financements internationaux vers des marchés émergents et économies en développement autres que la Chine. Les investissements consacrés à ces régions, dont les besoins de développement sont pourtant pressants, stagnent depuis la crise financière mondiale de 2008.
Peu des investissements requis sont progressifs, car il faudra débloquer des fonds considérables chaque année pour répondre à la demande croissante en énergie et à d’autres besoins de développement, en particulier dans les marchés émergents et les économies en développement. Les investissements progressifs nécessaires à l’échelle mondiale pour atteindre zéro émission nette devraient s’élever de 0,9 à 2,1 milliards de dollars américains par an entre 2021 et 2050. Bien que considérables, ces investissements sont envisageables si l’on tient compte de l’économie mondiale et des marchés financiers, qui pèsent près de 110 milliards de dollars américains.
Figure ES.6 : Récapitulatif par secteur des potentiels de réduction annuelle des émissions d’ici à 2035 pour un coût inférieur à 200 dollars américains par t éq-CO2
L’Accord de Paris et les décisions de la Conférence des Parties qui l’ont suivi définissent le cadre, les exigences et les attentes applicables aux prochaines CDN, qui devront contenir des cibles et des mesures pour 2035 et être communiquées d’ici à février 2025. Dans le cadre de ce cycle, les pays devront tenir compte des dernières données scientifiques, démontrer que leur nouvelle CDN représente une progression par rapport aux précédentes et expliquer comment ils y ont fixé le niveau d’ambition le plus élevé possible, compte tenu de leurs responsabilités communes mais différenciées et de leurs capacités respectives, eu égard aux différentes situations nationales. À l’issue du bilan mondial effectué dans le cadre de la COP 28, les pays ont été exhortés à aligner leurs CDN sur l’objectif de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C ainsi que sur les stratégies à long terme de développement à faibles émissions visant à parvenir de manière juste à zéro émission nette. Dans les conclusions du bilan mondial, les pays sont appelés à fixer des objectifs d’atténuation mondiaux par secteur et à participer à leur mise en œuvre d’une manière déterminée au niveau national, notamment en triplant la capacité de production d’énergies renouvelables d’ici à 2030, en doublant le taux annuel moyen mondial d’amélioration de l’efficacité énergétique d’ici à 2030, en abandonnant les combustibles fossiles dans les systèmes énergétiques, et en conservant, en protégeant et en restaurant la nature et les écosystèmes.
Conformément aux autres lignes directrices élaborées pour le prochain cycle de CDN, les pays sont invités dans le cadre de l’évaluation de cette année à tenir compte des recommandations suivantes pour préparer leurs prochaines CDN.
Respecter les normes les plus strictes : inclure tous les gaz listés dans le Protocole de Kyoto, couvrir tous les secteurs, fixer des objectifs ciblés et chiffrés par rapport à une année de référence, et distinguer explicitement les éléments conditionnels et inconditionnels.
Détailler comment les plans nationaux qui donnent la priorité au développement national et aux progrès vers la mise en œuvre des objectifs de développement durable (y compris la résilience, l’adaptation et la transition juste) concordent avec des efforts ambitieux de réduction des émissions.
Expliquer avec transparence et clarté comment la CDN soumise représente à la fois une contribution équitable et le niveau d’ambition le plus élevé possible, étant donné que tous les pays sont tenus de prendre des engagements correspondant à leur stade de développement, à leurs émissions passées, et à la contribution actuelle au réchauffement de la planète de leurs émissions territoriales et liées à la consommation.
Inclure des plans de mise en œuvre détaillés qui prévoient des moyens d’accélérer les efforts d’atténuation dès maintenant et fixent des objectifs de réduction nettement plus ambitieux pour 2035. Ces plans doivent intégrer les niveaux sectoriels de référence, ainsi que l’ensemble des solutions et des potentiels d’atténuation propres au contexte national. Les pays doivent aussi expliquer comment ces plans leur permettront de contribuer à tripler les capacités de production d’énergies renouvelables et à doubler le taux annuel d’efficacité énergétique d’ici à 2030, ainsi qu’à abandonner les combustibles fossiles. Enfin, ils doivent y établir des mécanismes d’examen et de responsabilité.
Utiliser les CDN pour distinguer explicitement les éléments conditionnels et inconditionnels. Les marchés émergents et les économies en développement doivent détailler les moyens de mise en œuvre dont ils ont besoin (y compris les changements institutionnels et politiques), ainsi que le soutien et les financements internationaux nécessaires pour atteindre des objectifs ambitieux au titre de leur CDN d’ici à 2035.