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29 Apr 2022 Récit Climate Action

Avec la flambée des prix du pétrole, les nouveaux investissements dans les combustibles fossiles pourraient être désastreux, affirme un…

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On parle beaucoup de sécurité énergétique depuis que de nombreux pays cherchent à réduire leur dépendance à l'égard des combustibles fossiles étrangers en raison de la hausse des prix des carburants provoquée par la guerre en Ukraine et de l'incertitude géopolitique qui en résulte.

Pourtant, comme le montre le récent rapport (en anglais) du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC), les projets actuels et futurs en matière de combustibles fossiles vont pousser la planète au-delà d'une augmentation à 1,5 °C. Produire davantage de combustibles fossiles serait donc la catastrophe assurée...

Alors que les prix du pétrole sont à leur plus haut niveau depuis près de dix ans, plusieurs pays producteurs de pétrole ont augmenté leur production de combustibles fossiles, ce qui, selon le secrétaire général des Nations unies, Antonio Guterres, ne fera qu'aggraver la situation (en anglais) à long terme.

L'utilisation de stocks stratégiques et de réserves supplémentaires pourrait contribuer à atténuer la crise énergétique à court terme. Mais les experts estiment que les pays doivent s'efforcer d'opérer un changement radical, en éliminant progressivement le charbon et les autres combustibles fossiles et en accélérant le déploiement des énergies renouvelables.

Nous nous sommes entretenus avec Mark Radka, chef du service Énergie et climat du Programme des Nations unies pour l'environnement (PNUE), pour en savoir plus sur l'essor des énergies renouvelables et sur les mesures à prendre pour abandonner les combustibles fossiles.

Êtes-vous surpris de constater que les entreprises du secteur de l'énergie et les producteurs de pétrole s'opposent à la réduction de la production de combustibles fossiles ? 

Mark Radka (MR) : Ce n'est pas surprenant, mais il est important de faire la distinction entre les différentes entreprises, car ni les entreprises ni les pays ne sont monolithiques. Il y aura de l'opportunisme, et il serait surprenant qu'il n'y en ait pas. Mais les entreprises les plus éthiques sont engagées dans une transition énergétique, et je pense qu'elles vont maintenir le cap, même s'il y a des fluctuations à court terme.

Il faut du temps avant que l'argent investi dans un nouveau champ pétrolier ou gazier produise des hydrocarbures, il s'agit donc d'investissements à long terme. Ce n'est pas quelque chose qui se produit du jour au lendemain ; cela nécessite beaucoup d'argent, beaucoup d'ingénierie et beaucoup d'infrastructures à concevoir et à construire. Les entreprises ne prennent pas ce genre de décisions en fonction de la politique du moment.

Constatons-nous une diminution de l'appétit pour l'action climatique lorsque le public est touché dans sa poche ?  

MR : C'est un faux discours. Jusqu'à présent, les énergies renouvelables ont largement fourni de l'énergie au secteur de l'électricité, tandis que l'utilisation du charbon dans la production d'électricité a diminué. On constate une augmentation bienvenue de la production et de l'acceptation des véhicules électriques (VE), bien que le marché des VE soit encore petit mais en croissance rapide.  

Il existe une distinction entre le pétrole et le gaz et les énergies renouvelables. Il y a de plus en plus de convergence dans le système énergétique. Mais elle ne s'est pas produite au point de pouvoir dire "ce sont les politiques pro-climat des énergies renouvelables qui sont responsables des prix élevés de l'essence." C'est un mensonge.

Certains pays producteurs de pétrole ont déclaré que sans sécurité énergétique, les pays perdront les moyens de lutter contre le changement climatique, que répondez-vous à cela ? 

MR : Le postulat selon lequel si on s'éloignez trop rapidement des combustibles fossiles, on réduit ses contributions économiques pour la lutte contre le changement climatique est étrange logique. Les coûts de la transition énergétique ne seront pas négligeables. Mais les coûts de l'inaction dépassent de loin ceux de l'action. Nous avons besoin d'énergie, mais nous avons aussi besoin d'un climat sain pour que la planète fonctionne : nous avons besoin d'une transition énergétique qui soit compatible avec le climat.

La technologie existe, pas encore dans tous les secteurs, mais nous ne devons pas nous en servir comme excuse pour ne pas agir énergiquement dans d'autres domaines. Cette transition est déjà en cours. Nous devons simplement l'accélérer, ce qui est tout à fait possible. Je serais surpris qu'un gouvernement producteur d'hydrocarbures affirme qu'il doit cesser de produire des hydrocarbures, mais je pense que les forces du marché imposeront à ces producteurs de trouver un marché en diminution.   

Les énergies renouvelables sont-elles intrinsèquement plus stables géo-politiquement que les combustibles fossiles ?

MR : Il est clairement plus facile pour certains pays d'être autosuffisants [en matière d'énergies renouvelables] que pour d'autres. Si vous êtes dans une région très ensoleillée, le coût de l'énergie solaire est intéressant, alors que d'autres pays peuvent avoir de meilleures ressources éoliennes. La grande majorité des pays disposent de bonnes sources d'énergie renouvelable. Si le vent souffle quelque part et que le ciel est couvert ailleurs, vous pouvez exporter l'énergie. Logiquement, vous voudriez qu'il y ait un partage des ressources, permettant d'équilibrer l'offre.

Ce type de partage de l'énergie est possible dans les pays nordiques, car leurs réseaux électriques sont largement interconnectés. Il existe également un projet de ligne à haute tension entre l'Écosse et la Norvège qui permettra d'échanger l'énergie éolienne écossaise et l'énergie hydroélectrique norvégienne. Ce type de projet est positif car il réduit les coûts globaux et augmente la fiabilité. Le monde s'électrifie de plus en plus, mais l'électricité n'est pas comme le pétrole ; on ne peut pas la stocker en grandes quantités, d'où l'importance d'une plus grande interconnexion.

Compte tenu des avertissements sévères du dernier rapport du GIEC, risquons-nous de faire marche arrière cette année ? 

MR : Il y a suffisamment d'élan pour continuer à avancer en matière de décarbonisation, mais il pourrait y avoir des revirements à court terme. J'utilise l'analogie de la température au printemps. Il peut y avoir des revirements, mais en fin de compte, vous savez que la température ne va que dans un sens, et il fera en moyenne plus chaud en juillet qu'en avril, du moins dans l'hémisphère nord.

Quelles sont les possibilités de maximiser l'efficacité énergétique et donc de consommer moins d'énergie pour réduire la dépendance aux importations de combustibles fossiles ? 

MR : La principale frustration des personnes qui s'inquiètent de l'énergie et du changement climatique est l'énorme potentiel inexploité de réduction des besoins énergétiques grâce à l'efficacité énergétique. La moitié des réductions d'émissions à court terme dans le secteur de l'énergie peut être réalisée grâce à l'efficacité énergétique, par exemple en utilisant des appareils et des éclairages plus économes en énergie et des moteurs plus efficaces.

Toutes ces solutions existent, mais elles ne sont tout simplement pas adoptées à une échelle suffisante. Dans une large mesure, ce sont les politiques gouvernementales qui favorisent l'efficacité. Par exemple, dans l'Union européenne, vous ne pouvez pas acheter aujourd'hui un réfrigérateur qui aurait été considéré comme le meilleur du marché en 1990. Ces technologies ont donc progressé grâce à des réglementations qui stimulent l'innovation. Les gens paient un peu plus pour un meilleur appareil, mais ils font des économies sur leurs factures d'énergie, souvent suffisantes pour amortir rapidement l'augmentation du coût.

Que diriez-vous à ceux qui cherchent à développer la production de combustibles fossiles ?

MR : Nous devons souligner que ce serait une fausse économie. Cela pourrait conduire à des investissements qui doivent être retirés prématurément, car la tendance est clairement à la décarbonisation du secteur de l'énergie. Nous avons besoin d'arguments pour combattre l'idée que le climat n'est plus une priorité avec des faits. Pas besoin de paniquer, mais nous il ne faut pas non plus être complaisants.

 

Le PNUE est en première ligne pour soutenir l'objectif de l'Accord de Paris de maintenir l'augmentation de la température mondiale bien en dessous de 2°C, et de viser 1,5°C, par rapport aux niveaux préindustriels. Pour ce faire, le PNUE a élaboré une solution à six secteurs, une feuille de route pour réduire les émissions dans tous les secteurs, conformément aux engagements de l'Accord de Paris et en vue d'une stabilité climatique. Les six secteurs identifiés sont : L'énergie ; l'industrie ; l'agriculture et l'alimentation ; les forêts et l'utilisation des terres ; le transport ; et les bâtiments et les villes.