Photo : PNUE/Adriane Ohanesian
01 Jun 2023 Récit Chemicals & pollution action

En Afrique, le secteur privé contribue à la lutte contre la pollution plastique

Photo : PNUE/Adriane Ohanesian

« Les gens m’appellent la reine des déchets », affirme Suzan Kubheka Banda, 44 ans et mère de trois enfants vivant à Johannesburg, en Afrique du Sud.

Mme Banda a commencé dans le recyclage de déchets plastiques en 2008, en les collectant dans les bars et magasins des environs. En 2010, elle a ouvert son propre centre de rachat de déchets, où des ramasseurs informels de déchets vendent leurs trouvailles quotidiennes. Elle emploie aujourd’hui 11 personnes. Elle récupère environ 3000 kilos de plastique destinés à être recyclés tous les mois, et selon le mois, le total peut aller jusqu’à 6000 kilos.

En 2020, elle a commencé à utiliser BanQu, une application de traçabilité utilisant la technologie de la chaîne de blocs qui fournit à ses utilisateurs des données et rapports en temps réel.

« L’application enregistre les matériaux que les ramasseurs de déchets ont contribué à recycler, le poids et le prix », souligne Mme Banda. Elle apprécie tout particulièrement les rapports hebdomadaires et mensuels fournis par l’application, car ils lui permettent de suivre l’activité de son centre et de déterminer comment améliorer ses résultats.

L’application montre comment une entreprise peut exploiter des outils numériques pour mettre des ramasseurs informels de déchets et des centres de rachat en relation avec de grandes entreprises spécialisées dans le recyclage, telles que PETCO, et des producteurs internationaux, tels que PepsiCo, Wilmar et Solvay. Les plus grandes entreprises, en parallèle, ont les informations de BanQu à portée de main afin de garantir la transparence et la traçabilité des matériaux présents dans leurs chaînes d’approvisionnement.

Workers in blue overalls sort plastic waste in warehouse
Des employés trient des ballots de bouteilles en téréphtalate de polyéthylène fournis par PETCO à l’entreprise de recyclage Extrupet. Ils traitent près de cinq millions de bouteilles par jour. Photo : Adriane Ohanesian

Le modèle commercial de BanQu sera présenté à l’occasion de l’Africa CEO Forum 2023, lors duquel son directeur général et cofondateur Ashish Gadnis se joindra à la Directrice exécutive du Programme des Nations Unies pour l’environnement (PNUE), Inger Andersen, pour un débat sur la façon dont le secteur privé de l’Afrique peut contribuer à la lutte contre la pollution plastique.

Le secteur privé africain voit de plus en plus de possibilités commerciales dans le marché du recyclage, qui était autrefois en grande partie occupé par les administrations locales. Des entreprises promeuvent l’innovation et le développement du marché par l’entremise de nouveautés technologiques et de la modernisation d’infrastructures, soutenant le secteur public dans la gestion des déchets plastiques.

Bien que les pays en développement de l’Afrique soient particulièrement vulnérables aux effets négatifs de la pollution plastique en raison de la jeunesse de son secteur du recyclage, il s’agit d’un problème mondial. Plus de 400 millions de tonnes de plastique sont produites chaque année à l’échelle planétaire, dont un tiers est conçu pour une seule utilisation. Moins de 10 % sont recyclés. Selon des estimations, entre 19 et 23 millions de tonnes de plastique sont rejetées dans les océans, les cours d’eau et les lacs chaque année.

Parmi les acteurs privés du secteur du recyclage de l’Afrique, se trouvent notamment RecyclePoints au Nigéria, PETCO en Afrique du Sud, EcoPost au Kenya et BanQu, qui opère dans différentes parties du continent.

En 2014, BanQu a adopté la technologie de la chaîne de blocs, qui génère un ensemble de transactions permettant aux ramasseurs informels de déchets de créer des registres vérifiables concernant leur activité de collecte de déchets et leurs gains tout en les aidant à se constituer des antécédents en matière d’emprunt.

« Nous avons passé beaucoup de temps avec des ramasseurs informels de déchets dans les rues de Nairobi, de Johannesburg et dans d’autres villes du monde entier et nous les avons mis en relation avec des infrastructures et systèmes de recyclage à plus grande échelle », souligne Ashish Gadnis, cofondateur et directeur général de BanQu. À ses yeux, c’est ce degré de coordination et de coopération qui permet à BanQu et à ses partenaires de collecter environ 30 millions de kilos de téréphtalate de polyéthylène par an.

Selon M. Gandis, BanQu apporte de la transparence et une traçabilité au sein du secteur, profitant non seulement aux ramasseurs informels de déchets et aux centres de rachat de déchets, mais également aux grandes entreprises, qui sont les seules à payer pour utiliser l’application.

Des entreprises utilisent également l’application afin de veiller à leur conformité en matière de responsabilité élargie des producteurs, un système qui exige des producteurs qu’ils financent la collecte, le recyclage et l’élimination responsable en fin de vie des produits en plastique.

Des estimations indiquent que le secteur informel est responsable de 58 % de l’ensemble des déchets plastiques collectés et valorisés dans le monde, en grande partie concernant des zones urbaines, et contribue de façon significative à la réduction des déchets plastiques dans les sites d’enfouissement et les décharges.

Toutefois, malgré les immenses contributions des ramasseurs informels de déchets, souvent, ils sont confrontés à des conditions de travail dangereuses et insalubres, ont des revenus bas ou irréguliers et ont un accès insuffisant à l’information, aux marchés, à des financements, à la formation et aux technologies.

BanQu a vocation à changer cette situation en fournissant aux ramasseurs informels de déchets une identité numérique et des antécédents financiers qui les aideront à surmonter les obstacles que rencontrent les populations non bancarisées et exclues du système financier.

Des études montrent qu’à l’aide de meilleurs systèmes et infrastructures, détourner les déchets des décharges et sites d’enfouissement au profit de la réutilisation, du recyclage et de la valorisation pourrait injecter huit milliards de dollars des États-Unis supplémentaires par an dans l’économie africaine et créer des possibilités socioéconomiques significatives pour le continent.

« Tout l’argent que je gagne provient du recyclage », précise Rebecca Skhosana, une ramasseuse informelle de déchets de 36 ans qui vit à Johannesburg et vend des matériaux recyclables au centre de rachat de déchets de Suzan Kubheka Banda.

Suzan and Rebecca make a transaction
Suzan Kubheka Banda, propriétaire d’un centre de rachat de déchets soutenu par PETCO, montre à Rebecca Skhosana son solde sur le portail BanQu, à Johannesburg, en Afrique du Sud. Photo : Adriane Ohanesian  

Aussi utiles et nécessaires que soient ces entreprises de recyclage en Afrique, des recherches du PNUE ont révélé que le recyclage à lui seul n’est pas une solution viable sur le long terme.

« Nous n’échapperons pas au désastre de la pollution plastique en recyclant », déclare Rose Mwebaza, Directrice du Bureau du PNUE pour l’Afrique.

« En plus de cesser progressivement de produire de nouveaux plastiques, les secteurs public et privé doivent collaborer pour passer à une économie circulaire qui ne laisse aucun pays ni individu pour compte », ajoute-t-elle. 

Un nouveau rapport du PNUE, Tarir le flot : Mettre fin à la pollution plastique et créer une économie circulaire à l’échelle mondiale, appelle à une transition vers de nouveaux modèles donnant la priorité à l’élimination des plastiques inutiles, à l’actualisation de la conception des produits dans le but de limiter autant que possible le plastique à usage unique, à la réutilisation, au recyclage et à la réorientation et la diversification des plastiques par l’entremise du remplacement des produits en plastique par des matériaux alternatifs. Le passage à une économie circulaire pourrait générer une économie directe et indirecte totale de 4 500 milliards de dollars des États-Unis à l’horizon 2040.

Lors de la Conférence des Nations Unies sur les changements climatiques de 2017, les gouvernements de l’Afrique du Sud, du Nigéria et du Rwanda ont lancé l’Alliance africaine pour l’économie circulaire, placée sous l’égide de la Banque africaine de développement (BAfD), dans le but de promouvoir la transition de l’Afrique vers une économie circulaire et d’avoir une incidence positive sur l’économie, l’emploi et l’environnement. Cette alliance compte également parmi ses membres le Ghana et la Côte d’Ivoire et s’étend à d’autres pays.

Le PNUE et la BAfD sont engagés dans une collaboration de longue date depuis la signature d’un protocole d’accord en 1989, et travaillent désormais à l’élaboration de l’Atlas du capital naturel de l’Afrique, un outil visant à guider l’élaboration de politiques et la prise de décision dans le but d’améliorer la restauration des écosystèmes et la gestion des ressources naturelles de la région. 

En 2018, le PNUE et la Fondation Ellen MacArthur ont lancé l’Engagement mondial pour une nouvelle économie des plastiques, qui rassemble des entreprises, des administrations et d’autres organisations du monde entier autour d’une vision commune d’une économie circulaire des plastiques. L’engagement compte plus de 500 signataires, dont des gouvernements, des entreprises et des institutions financières, déterminés à réduire l’ampleur du problème et à réutiliser, recycler et trouver des solutions de remplacement des plastiques.

Le PNUE est également responsable de l’organisation de la Journée mondiale de l’environnement célébrée tous les 5 juin, qui met cette année l’accent sur les solutions à la crise de la pollution plastique dans le cadre de la campagne #CombattreLaPollutionPlastique, et organise également les travaux du Comité intergouvernemental de négociation (CIN) sur la pollution plastique, dont le mandat consiste à négocier un traité international juridiquement contraignant sur la pollution plastique.

Les négociations actuelles du CIN font suite à l’adoption d’une résolution historique visant à mettre fin à la pollution plastique lors de la cinquième Assemblée des Nations Unies pour l’environnement en mars 2022, qui a vu l’intégralité des 193 États Membres de l’Organisation des Nations Unies décider d’en finir avec la pollution plastique.

 

À propos de la Journée mondiale de l’environnement
La Journée mondiale de l’environnement, qui a lieu le 5 juin, est la plus grande journée internationale consacrée à l’environnement. Dirigé par le Programme des Nations Unies pour l’environnement et célébré tous les ans depuis 1973, cet événement est devenu la plus grande plateforme mondiale de sensibilisation à l’environnement, voyant plusieurs millions de personnes du monde entier s’engager en faveur de la protection de la planète. Cette année, la Journée mondiale de l’environnement sera axée sur les solutions à la crise de la pollution plastique.