09 Jan 2018 Récit Ocean & Coasts

Erik Solheim : ramener les zones mortes du monde à la vie

Erik Solheim, chef d'ONU Environnement

Pour les amateurs de fruits de mer, c'est une aubaine. Les milliers de crabes bleus empilés les uns sur les autres dans les eaux peu profondes de la baie de Chesapeake sont une proie facile pour les gourmands en quête d'un dîner. Ils remplissent les estomacs d'une telle joie que les habitants les appellent le « jubilé du crabe ». Mais cette joie cache une réalité sombre.

Pendant des décennies, le plus grand estuaire des États-Unis, alimenté par plus de 150 rivières et cours d'eau s'écoulant dans quatre États, a été considéré comme un égout géant. Les pesticides, les produits pharmaceutiques, les déchets humains et les métaux lourds en provenance des maisons, des fermes et des usines ont été charriés dans les rivières qui alimentent la baie, polluant ainsi un trésor national avec un cocktail mortel de toxines et d'excès de nutriments.

En moyenne, environ 160 millions de kilos d'azote et de phosphore, provenant pour la plupart d'exploitations agricoles, pénètrent dans la baie chaque année. Les nutriments supplémentaires présents dans l'eau provoquent des proliférations d'algues massives, empêchant la lumière du soleil d'atteindre le fond de la baie. Quand les algues meurent et pourrissent, elles absorbent l'oxygène disponible dans l'eau et étouffent toute autre forme de vie : les poissons, les herbiers et les crabes sont tous privés d'oxygène. Le crabe "jubilé" est un abus de langage. En fait, il s'agit d'un exode de créatures qui tentent désespérément d'échapper à la "zone morte" de la baie.

On trouve des centaines de zones mortes similaires à celle-ci à travers le monde, transformant nos océans, nos mers et cours d'eau en déserts sous-marins dépourvus de vie. La deuxième zone morte la plus importante au monde se trouve dans le golfe du Mexique, dont les eaux privées d'oxygène menacent de dévaster une région qui fournit à l'Amérique 40% de ses produits de la mer.

Les zones mortes qui s'étendent le long de nos côtes sont une conséquence de la façon dont nous considérons l'environnement. Pendant trop longtemps, nous avons utilisé l'eau, les sols et l'air comme des décharges pour les déchets que nous produisons. Aujourd'hui, nous en payons les conséquences.

On trouve des centaines de zones mortes à travers le monde. Elles sont responsables de la transformation de nos océans, de nos mers et des cours d'eau en déserts sous-marins dépourvus de vie.

Le pétrole, les métaux lourds, les plastiques et les pesticides polluent les océans et les sols de la planète, et il est désormais plus coûteux et plus difficile de se nourrir. La combustion de combustibles fossiles a transformé l'air que nous respirons en un mélange peu ragoûtant de gaz nocifs et de minuscules particules qui se logent profondément dans nos poumons, entraînant la mort prématurée d'environ 200 000 Américains chaque année et ayant des conséquences graves sur la santé de milliers d'entre eux. Chacun d'entre nous est touché par ce phénomène : qu'il s'agisse de l'air pollué que nous respirons, de l'eau contaminée que nous buvons ou de la nourriture chimique que nous consommons.

De nombreuses personnes croient que la lutte contre la pollution revient à freiner la croissance économique. C'est en fait tout le contraire. Ne pas s'attaquer à la pollution nuit à la croissance économique et aux industries clés, détruit les moyens de subsistance des populations, intensifie les changements climatiques et les coûts pour y remédier s'élèveront à des milliards de dollars. En effet, la baisse du coût de l'énergie issue de sources renouvelables comme le vent et le soleil prouve qu'il est possible de réduire la pollution de l'air sans pour autant ralentir la croissance économique. Les pays qui abandonnent les combustibles fossiles au profit d'économies plus durables et économes en ressources et qui produisent moins de déchets jouiront des avantages économiques et environnementaux de la révolution énergétique actuelle.

Ceux qui choisissent de ne pas suivre cette voie seront laissés pour compte et supporter les coûts entraînés par la pollution qu'ils génèrent. Lorsque nous détruisons les écosystèmes qui nous soutiennent, lorsque nous polluons l'eau, l'air et la terre avec des métaux lourds, des produits chimiques toxiques et des particules nocives, nous endommageons notre santé et nos économies, et nous polluons la vie de nos enfants.

Il est de notre responsabilité à tous d'encourager nos dirigeants politiques et les responsables du secteur privé à prendre des engagements audacieux pour lutter contre la pollution. 

En décembre, ONU Environnement a accueilli la troisième Assemblée des Nations Unies pour l'environnement à Nairobi. La réduction de la pollution sous toutes ses formes insidieuses et potentiellement mortelles figurait en tête de notre programme. Je suis incroyablement fier de dire que nous avons recueilli près de 2,5 millions de promesses de dons de la part des gouvernements, de la société civile, des entreprises et des particuliers pour assainir la planète.

Cependant, notre travail est loin d'être terminé. Chacun d'entre nous a un rôle à jouer dans ce combat. Qu'il s'agisse d'acheter une voiture électrique, de recycler nos déchets, de réduire la quantité de nourriture que nous jetons ou de refuser d'utiliser des sacs en plastique, nous pouvons tous réduire la quantité de déchets et de pollution qui se retrouvent dans l'air, le sol et eau. Nous avons tous la responsabilité de plaider en faveur d'engagements audacieux contre la pollution de la part de nos politiciens et chefs d'entreprise. Mon rapport, Vers une planète sans pollution, explique comment conduire cette transformation. Il faudra identifier les polluants les plus féroces, renforcer les lois environnementales et investir dans la recherche, la surveillance et des infrastructures plus propres et plus vertes.

Nous savons ce qu'il est possible d'accomplir lorsque des individus, des entreprises, des scientifiques et des gouvernements s'unissent pour lutter contre la pollution et la dévastation environnementale. Après des décennies de progrès lents mais réguliers, la baie de Chesapeake montre enfin des signes d'amélioration. La zone morte rétrécit lentement. Les populations de poissons, de crabe bleu et d'huîtres commencent à se rétablir à mesure que l'azote, le phosphore et d'autres formes de pollution diminuent peu à peu. La santé de la baie est encore mauvaise mais elle s'améliore grâce aux efforts d'un groupe de travail dévoué composé de représentants des gouvernements locaux, des agences fédérales, des institutions académiques, des ONG et des entreprises. Si nous sommes capables de reproduire cette approche à l'échelle mondiale, alors le monde aura une chance de s'attaquer à l'un des plus grands fléaux de notre temps.